samedi 18 janvier 2020

France — l'enseignement du français a été amputé de près de 600 heures entre 1976 et 2015

L’essayiste et enseignant Jean-Paul Brighelli revient, à l’occasion de la sortie de La Désinstruction nationale de René Chiche, sur la faillite actuelle du système éducatif.

René Chiche est professeur de philosophie, vice-président du (petit, mais vif) syndicat enseignant Action et Démocratie CFE-CGC, et membre du Conseil Supérieur de l’Éducation. Et il est en colère.

Cet homme pondéré vient de sortir un (petit, mais important) livre dans lequel le syndicaliste et l’enseignant qu’il est en même temps met les pieds dans le plat et dit tout le mal qu’il pense de l’École qui lui a tout donné, et qui ne lui permet plus de rendre aux autres ce qu’il a reçu, tant le système est vérolé des pieds à la tête. Un pourrissement dont l’auteur donne les origines — l’arrivée aux commandes de ces « pédagogistes » qui ont entraîné l’Educ-Nat dans les abysses —, et dont il observe les progrès. C’est à un livre médical que nous avons affaire : ceux que les autopsies de cadavres pourrissants rebutent devront se pincer le nez. [...]

« Mise à mort » de l’École

Dans Éducation nationale, un grand corps malade, un documentaire que j’avais en grande partie scénarisé et qui est disponible sur le Net [voir la vidéo ci-dessous], j’avais eu l’occasion d’expliquer le détail de cette mise à mort, et de dénoncer les agitations stériles de nos pédagogues nouveaux qui bougent de façon à faire croire que le cadavre remue encore. Il faut le dire et le redire : les Trente Glorieuses ont été prolongées, sur le plan éducatif, par Trente Pouilleuses, dont l’élève actuel est le produit perfectionné. Non plus cancre comme autrefois — chez le cancre le plus obtus, il y a toujours l’espoir d’une étincelle, d’un sursaut, d’un éveil ; mais crétinisé par des gens dont c’était l’objectif, et qui l’ont réalisé avec une froide détermination, tout en tenant un discours lénifiant et envoûtant, auquel syndicats et parents d’élèves ont adhéré de toutes leurs forces. Demander sans cesse « des moyens », quand il s’agit, comme le relate René Chiche, de transmettre des connaissances en théorie acquises dans le cadre des concours de recrutement, c’est se cacher derrière son petit doigt, en renvoyant tout progrès réel aux calendes grecques.




L’élève de Terminale d’aujourd’hui, explique René Chiche, est un illuminé qui croit passer le « Bac à l’oréat » (sic !). Sans doute sous le ministère Chatel passait-il même le Bac à l’Oréal… C’est que le français fut la première victime des Diafoirus de la pédagogie : « Quand on considère la scolarité qui va du cours préparatoire à la fin du collège, cette discipline a été amputée de près de 600 heures entre 1976 et 2015. » En clair, un élève qui sort de Troisième actuellement a eu autant d’heures de Français dans sa courte carrière qu’un élève qui sortait de Cinquième il y a quarante ans : voir l’analyse complémentaire de mon autre honorable collègue, Loys Bonod, détaillant les statistiques compilées par l’association Sauver les Lettres.

Les grands praticiens de l’Éducation constatent tous les mêmes méfaits ; tous constatent que non seulement l’institution n’entend rien, mais qu’ils sont vilipendés.

Et c’est là que le désespoir saisit René Chiche. Le diagnostic a été posé depuis belle lurette, par moi (dans la Fabrique du crétin) et pas mal d’autres — lire l’Enseignement de l’ignorance, de Jean-Claude Michéa ; Nos enfants gâchés, de Natacha Polony ; ou Autopsie du mammouth — l’Éducation nationale respire-t-elle encore ? de Claire Mazeron. René Chiche s’inscrit dans une lignée de grands praticiens de l’Éducation, qui tous constatent les mêmes méfaits ; qui tous proposent des remèdes héroïques (on appelait ainsi autrefois les ultimes médecines administrées à des moribonds) ; et qui tous constatent que non seulement l’institution n’entend rien, mais qu’ils sont vilipendés par des gens qui se sont arrogé le pouvoir depuis trente ans, et qui ont infiltré tous les échelons de la hiérarchie. Il faut entendre, rue de Grenelle, la déploration de responsables ministériels parfois pleins de bonne volonté, mais impuissants, disent-ils, à dégommer des malfaisants — alors qu’il suffirait de les pendre par les pieds à la porte du ministère : puisqu’ils pensent à l’envers, ça ne peut leur faire que du bien.

La destruction de la langue ne touche pas seulement les déshérités : désormais toutes les classes sociales, « y compris les milieux les plus aisés », dit justement René Chiche, sont affectées par cette déperdition linguistique qui dégénère forcément en bouillie sémantique : ce qui ne s’énonce plus clairement ne se conçoit plus du tout. L’École forme depuis trois décennies un troupeau aveugle de consommateurs [...]. Version moderne du slogan antique, « du pain et des jeux », réactualisé en « un salaire universel, du foot et Cyril Hanouna ». Ce sont ces consommateurs désormais sans défense immunitaire contre la Bêtise galopante que fabrique l’École d’aujourd’hui.

À noter qu’à en croire l’auteur (et comment ne pas lui donner raison ?), c’est surtout parce qu’une langue porte des caractères nationaux que nos thuriféraires de la chose européenne veulent l’éradiquer — revenant, analyse finement Chiche, à l’inversion du mythe de Babel, un seul gloubi-boulga avec lequel on ne risque pas d’escalader les cieux. Qui ne voit pourtant que l’Europe, dont tous ces grands commis se gargarisent, ne peut émerger que par l’union des caractères nationaux fortement exprimés ? Et que l’Angleterre a saisi sa chance de survivre, en quittant le piège bruxellois tendu par Jean Monnet et ses successeurs ?

(Parenthèse : je salue la perspicacité de la plupart des journalistes français qui — à l’exception notable de ceux de Valeurs Actuelles, Causeur et Marianne, trois empêcheurs de penser en rond — prédisaient l’échec du Premier ministre anglais, assimilant un garçon passé par Eton et Oxford à un Trump d’outre-Manche… Bravo à eux !

[Bien évidemment les médias québécois ne valent guère mieux. Radio-Canada parlait récemment dans un article d’opinion de son cru « des frasques, les mensonges et les manières clownesques » d’un Boris Johnson. Le tout dans un article d’analyse (qui se voulait très sérieux) qui de se demandait 2020 : la démocratie en recul dans le monde ? et qui associait Boris Johnson à ce recul potentiel... On attend des articles du même acabit parlant « des frasques, les mensonges et les manières clownesques » de Justin Trudeau...]
)

« Le niveau de compétence disciplinaire a été déclaré secondaire »

Et les enseignants, tous complices ? Rappelez-vous La Fontaine : « Ils ne mouraient pas tous, mais tous étaient frappés. » René Chiche pose avec ironie la question : « Les éducateurs sont-ils vraiment au fait des choses de l’esprit ? » Et de fustiger « des professeurs qui paraissent avoir trouvé leur diplôme dans une pochette surprise » et qui « se retrouvent à enseigner ce qu’ils ignorent ou ne connaissent qu’approximativement ». Et il conclut : « L’explication est simple : le niveau de compétence disciplinaire a été déclaré secondaire, et même facultatif par les plus enragés militants de la désinstruction. »

Qui sont ces militants ? Je suis désolé de le dire, parce que j’y conserve quelques amis, mais ils viennent tous de gauche. Cette Gauche qui n’a rien trouvé de mieux, après les tueries de Charlie Hebdo et du Bataclan, que de demander à Philippe Meirieu — Chiche n’est pas avare d’imprécations à l’égard du pape du pédagogisme — de rédiger à la va-vite un texte sans colonne vertébrale (ne pas stigmatiser ! Ne pas dire « islam » !) à lire à des élèves impavides ou même hostiles. René Chiche dans son lycée a incité ses élèves, en 2018, à saluer le sacrifice d’Arnaud Beltrame, au grand dam de ses collègues — sans doute préféraient-ils l’attitude de SUD, ce syndicat absolument pas raciste (vous vous rappelez sans doute que SUD a organisé « des stages de formation syndicale interdits aux Blancs », tous colonisateurs, comme chacun sait) — qui ont « fait savoir tout le mal qu’il pensait d’un tel hommage, auquel il se vantait même d’appeler le reste de la profession à ne pas participer ».

Je ne veux pas déflorer complètement un livre terrible, un livre qui fera mal à ceux qui le liront sans œillères, un livre qu’il faudrait faire étudier dans les classes, si on n’avait d’abord, comme le suggère notre philosophe, à étudier Spinoza et la règle de trois : si à l’exposé de leurs malheurs programmés, les élèves s’insurgent et proposent de pendre les assassins de l’École, quelques espoirs sont permis ; mais si au récit de leur misère ils restent impavides, alors les pédagos auront réussi leur coup : le mal sera absolument sans remède.


La Désinstruction Nationale,
de René Chiche,
Coll. Temps présents,
paru 20 novembre 2019,
aux Éditions Ovadia,
252 pages
20 €.
ISBN-13 : 978-2363923684

Voir aussi

France — Saignées dans l’enseignement du français

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